Le Bœuf Gras de 1952

Historique

Le Bœuf Gras a été applaudi par les Parisiens

Suivant une tradition vieille de plusieurs siècles, le cortège du Bœuf gras a défilé, hier, le long des artères principales du XIXe arrondissement. Cent élèves de l’École supérieure de la boucherie, en costume de travail, et levant vers le ciel les blasons de la corporation entouraient le bœuf (ci-contre), impassible sur son char. Il oubliait provisoirement le sort qui l’attendait.

Franc-Tireur Lundi 21 avril 1952

Le Bœuf Gras a été applaudi par les Parisiens

Le Bœuf Gras, solennel et impavide, a sillonné les rues du 19e arrondissement

Sans les pom-pom, sans les pompiers, mais avec les gardes à cheval qui ouvraient et fermaient la marche d’un cortège dont le personnage central était un bœuf roux, ce fut hier pour les populations qu’on dit paisibles du XIXe arrondissement jour de fête et, en même temps, jour de gloire.

Fête de la corporation bouchère donc d’origine médiévale, le cortège du Bœuf gras ressuscite aussi dans une ambiance que ne renierait pas Jacques Tati, les antiques rites sacrificatoires. Ce bœuf promené en char dans les rues du XIXe arrondissement qui prend soudain, à l’occasion de cette solennité, conscience de son autonomie administrative, et même de son originalité sera immolé.

Comme les autres…

Cuirs et peaux…

…Y avait d’abord les « gard’ à ch’val », donc leurs montures, dont les crottins indiquaient aux « officiels » édiles ou organisateurs, la route que suivrait depuis La Villette (où il retournera une dernière fois, mais sans cortège) le Bœuf gras, patriotiquement enrubanné de tricolore.

Sacerdotalement suivi de jeunes bouchers en uniforme, élèves de l’École supérieure de la boucherie, à l’insigne curieusement angélique (un agneau blanc sur fond d’azur), le bœuf, impavide, secret au milieu des cris et des applaudissements, jeta parfois des regards plombés vers les verdures bucoliques des Buttes Chaumont.

Méprisant toute fausse délicatesse et négligeant les transitions, le Comité des fêtes du XIXe fit suivre l’admirable et pitoyable victime de deux chars décorés de graphiques. L’un montrait quelles pertes avec toute sa graisse et ses os, ce sale bœuf occasionnerait à la corporation bouchère ; l’autre exaltait opportunément l’industrie présidentielle des cuirs et peaux.

Apothéose

Face à la mairie haut lieu du XIXe, ce fut l’apothéose : la Fanfare de la Ville de Paris et les sonneurs de trompes du Rallye Villette (placides tueurs mélomanes) qui n’avaient cessé de déverser leurs accords martiaux, conjuguèrent leurs harmonies. Et comme on a, dans le XIXe le sens de la grandeur nationale, des grosses caisses, des clairons et des tambours surgit la « Marseillaise ».

Ce n’était qu’une étape. La minute fut-elle trop grande et l’émotion trop forte ? On ne sait ce qui se produisit, mais la discipline jusque-là implacable, se rompit. Une partie du cortège était déjà au bas de la rue Laumière que l’autre s’attardait encore sur la place de l’hôtel de ville. Les retardataires ayant plus de 200 mètres de handicap, fanfares, chars, garçons bouchers, « gard’ à cheval » dévalèrent la rue au galop ou au pas de course pour rejoindre le Bœuf gras et les officiels…

Et derrière eux, tout le XIXe.

Combat, 21 avril 1952