Confetti en 1902

L’enlèvement des confetti

La bataille finie, adieu les confetti ! Donc, tandis que les Parisiens profitant du beau temps et de la liberté laissée à la rue, en l’honneur du Mardi-Gras, jetaient à pleines mains les rondelles de papier multicolores, pendant toute la journée d’avant-hier et une partie de la nuit dernière, le service de la voirie, divisé en deux équipes, se préparait à enlever les vestiges de la bataille, si chaude sur les grands boulevards.

Le service de nettoyage des boulevards commence d’ordinaire à trois heures du matin ; hier, les lanciers du préfet étaient à leur poste dès deux heures et s’attelaient avec ardeur à la rude besogne de l’enlèvement rapide de l’énorme masse des confetti.

Le travail, cette année, a été facilité par l’état de sécheresse de la chaussée ; les confetti n’adhéraient pas aux pavés de bois ; ils formaient, au lieu d’une masse gluante comme cela se produit lorsqu’il a plu, un tapis épais, mais facile à enlever.

Maintenant, comment a-t-on opéré ? Voici.

Les employés de la voirie, s’arment d’abord de balais caoutchoutés, appelés raclettes, et poussent, des deux côtés de la chaussée, dans les caniveaux, la masse bariolée des petits papiers.

Lorsque trottoirs et chaussée sont dégagés, on ouvre à fond les prises d’eau, et tandis qu’on manie les raclettes, les confetti, entraînés par le courant puissant, vont s’engouffrer dans les bouches d’égout et disparaissent assez rapidement. Le travail ne dure guère que deux heures. Mais ce procédé n’a pu être employé, cette fois, dans le quartier de la Chaussée-d’Antin. Le nettoyage des boulevards, de la rue Laffitte à la rue Scribe, où vient mourir habituellement l’ardeur du combat, a dû être fait à l’aide de grands tombereaux dits « guimbardes ». Il a fallu trois de ces tombereaux qui ont enlevé environ quinze mètres cubes de confetti. L à, en effet, on ne pouvait chasser les confetti dans les égouts adjacents, ceux-ci se trouvant actuellement obstrués par la construction du grand collecteur de Clichy.

Ce chiffre de quinze mètres cubes ne représente, naturellement, qu’une faible partie de la totalité jetée.

Qu’on en juge : la bataille s’est livrée, cette année, de la porte Saint-Denis à la rue Scribe, soit sur une longueur de 1,800 mètres ; les boulevards ayant 30 mètres de largeur utilisée en la circonstance, on peut dire que le champ de bataille avait une surface de 54,000 mètres carrés. Si l’on considère qu’en moyenne, sur toute cette étendue des boulevards, – en moyenne, entendons-nous, – l’épaisseur de la couche a été de un centimètre ; nous obtenons l’énorme masse de 540 mètres cubes de confetti jetés dans la seule journée de mardi, entre la porte Saint-Denis et la rue Scribe !

Continuons pendant que nous y sommes : en superposant ces 340 mètres cubes de façon à obtenir une colonne dont la base aurait, par conséquent, une surface d’un mètre carré, nous obtiendrions une hauteur de confetti presque deux fois égale à celle de la tour Eiffel !

Un arrêté judicieux du préfet de police avait, on le sait, pour ménager les arbres… et les finances de la Ville, interdit le jet des serpentins. Il y a eu pourtant quelques fanatiques de ce jeu, qui ont ignoré les prescriptions préfectorales ou qui ont passé outre.

Les délinquants, dont les noms étaient pris par les agents, ont été avisés hier matin d’avoir à enlever dans les vingt-quatre heures, et à leurs frais, les serpentins qu’ils avaient jetés, sans préjudice de la contravention et de l’amende qui viendra augmenter encore pour eux le prix du serpentin.

Un spectacle assez curieux et peu connu des Parisiens, spectacle que nous leur recommandons pour le lendemain de la Mi-Carême ; c’est d’aller, le matin, vers sept heures, à Clichy, à l’embouchure du collecteur dans la Seine.

Les eaux, déj à bourbeuses du fleuve, se couvrent de l’épaisse masse de confetti chassés des boulevards et le fleuve se trouve « pris » par l’avalanche de papiers qui forme alors comme une immense banquise multicolore.

Le Petit Journal

13 février 1902