Le Bœuf Gras de 1936

Paris a gaiement acclamé le cortège du Bœuf-Gras

A Le jeudi de la Mi-Carême 19 mars 1936, il traversa tout Paris depuis la Porte de Versailles jusqu’aux abattoirs de la Villette, en passant par le Boul’Mich, le Parvis Notre-Dame, l’Hôtel de Ville, le Boulevard Sébastopol et la Gare de l’Est.

Mille grâces vous soient rendues ! messire Bœuf ! Charlot Ier pour vous donner votre nom de baptême ! Nous avons bien ri. Et pour tout vous dire, il y a belle lurette que pareille chose ne nous était arrivée, jour de Mi-Carême. Ne vous devrions-nous que cela, que cet épanouissement de la rate indispensable et cependant devenu si rare, que ce serait déjà bien beau.

Rien donc n’a manqué à votre entrée solennelle, ni la lumière claire et dorée des printemps, ni les rires, ni les vivats du bon peuple.

Mais, vous ayant ainsi dès l’abord rendu hommage, souffrez que l’arôme nous revienne au gosier et nous chatouille les papilles, de tous les accommodements culinaires dont vous faisiez les frais, et que notre œil retrouve ébahi la splendeur de votre parade, de vos mirotons et salades, de vos côtes et de ces poireaux, qui vous servaient de hérauts.

à la vérité, qui eût rodé, vers les midi, en ce parc de Versailles, où votre cortège se préparait, eût presque pu douter de le voir jamais se former.

On courait après les citrouilles, on se heurtait aux navets; les cuisinières n’étaient pas là, les oignons s’étaient égarés. Des cavaliers à veste rouge sonnaient du cor dans un coin, tandis que les vielleurs du pays d’Auvergne répétaient dans un autre coin leurs chansons.

Tout ce beau désordre se trouva pourtant ordonné. Et comme là-bas, à la sortie du parc, les trompettes des gardes commençaient de jouer et que, tapant sur leurs caisses, soufflant dans leurs pistons et leurs trombones, les soldats de votre escorte déployaient la file de leurs uniformes, tous les maillons de la chaîne se trouvèrent renoués.

Les grosses légumes, dodelinant du chef et hurlant à tue-tête – si j’ose dire – un air qui incitait irrésistiblement à se mettre à table, s’ébranlèrent; la « cuistance », où le bœuf l’emportait enfin sur le « singe », démarra ; le bœuf miroton suivi, avec sa troupe d’oignons, de carottes, ses flacons d’huile et de vinaigre, qu’il eût suffit de jeter dans la casserole; derrière venaient les côtes, toutes « vos » côtes – et les … autres – de la Côte d’Argent à la Côte d’Azur – char ravissant, fleuri des roues jusqu’ à son faîte, en passant par la côte d’Amour et les frères de … la côte, juchés sur un brick aux luisantes caronades, et enfin, vous, messire Bœuf gras, semblant narguer les sept vaches maigres qui vous précédaient.

Voilà dans quel appareil vous avez traversé, parmi les musiques et les acclamations d’une foule énorme, votre bonne ville de Paris, de Vaugirard à la Villette, en passant par le « Boul’ Mich », le parvis Notre-Dame, l’Hôtel de Ville, où le Conseil municipal vous rendit les honneurs qui vous étaient dus, le « Sébasto », la gare de l’Est.

Hélas ! toute gloire n’est-elle pas éphémère ? A tout le moins, garderez-vous celle de nous avoir rendu pour la première fois un peu de ce temps d’autrefois, de ces Mi-Carême d’antan où l’on avait le temps de rire.

J.P.

JNL, 20 mars 1936

(sortie du Bœuf gras du jeudi 19 mars 1936, dernière sortie à grande échelle à ce jour [ndwm])

La période internationale de 1904-1914

à Paris, le Bœuf Gras est la vedette des Jours Gras qui se terminent le Mardi Gras. L’autre temps fort du Carnaval de Paris, à mi-chemin entre Mardi Gras et Pâques, est le Jeudi de la Mi-Carême. Les vedettes de la Mi-Carême sont des femmes : les Reines de la Mi-Carême.

A partir du XVIIIème siècle à Paris, ces Reines sont des blanchisseuses. On les appelle aussi Reines des Lavoirs ou Reines des blanchisseuses.

Elles paraissent avoir formé un cortège central durant une partie du XIXème siècle. Ce cortège se défait ensuite en cortèges locaux. Il se regroupe à nouveau à partir de la Mi-Carême 1891, à l’initiative de la Chambre Syndicale des Maîtres de Lavoirs de Paris et du département de la Seine (fondé en 1870), dont le siège était rue de Bondy, et le président alors, Monsieur Morel, auquel succédera ensuite Monsieur Henri Semichon.

Vers 1895, les Reines élues des Marchés et des Halles paraissent ravir la vedette aux blanchisseuses.

D’après certains, c’est le prestige considérable des Reines parisiennes qui amena l’élection de Reines dans d’autres villes, y compris hors de France.

Ce qui en tous cas est sûr, c’est que c’est en 1902 que le très grand et célèbre marché de Porta Palazzo, à Turin, élit sa première Reine : Margherita Rosa. La Reine de Porta Palazzo fut baptisée vers cette époque Reginetta palatina, en référence à la Porta Palatina, porte antique romaine bien conservée, et située pas loin du marché.

En septembre 1904, à l’initiative de la rédaction de la revue turinoise Il Fischietto (le Sifflet), les Reines de Paris furent invitées aux grandes fêtes du marché de Porta Palazzo (bien que costumées, ces fêtes avaient lieu en dehors de la période du Carnaval).

Porta Palazzo 1904 : ce fut le début de la période internationale du Carnaval de Paris. Elle allait durer dix ans.

En 1905, les Reines de Paris furent invitées au Carnaval de Milan.

Pour la Mi-Carême 1905, arriva à Paris une grande délégation italienne : 200 Piémontais et 100 Lombards avec la Reine de Turin (Reine du Marché de Porta Palazzo) et la Reine des marchés de Milan.

Le char des Reines italiennes Rosina Ferro-Pia et Maria Nulli, avec le reste du cortège 1905 à Paris, fut rejoint sur la place de la Concorde, et escorté ensuite par la cavalerie de Buffalo Bill (sa troupe était arrivée la veille à Paris).

En 1906, trois Reines arrivent à Paris à la tête de délégations : italienne, avec la Reine des Commerces de Rome (Marta Speroni), portugaise, avec la Reine de Lisbonne (Valentine Torrea), espagnole, avec la Reine de Madrid (Concepcion Ledesma) ainsi que, de Suisse, Mademoiselle Hermance Taverney, Palès, déesse du Printemps de la Fête des Vignerons de Vevey 1905.

En 1909, le Carnaval de Paris reçoit pour la Mi-Carême une délégation belge avec à sa tête les Reines d’Ostende : Mesdemoiselles Magda Asaert, reine d’Ostende, Florine Surveillant, reine de l’Industrie balnéaire et Hélène Fermote, reine de la Pêche.

En 1910, une délégation de Prague vient à Paris. A sa tête, la très belle Reine Tchèque, Ruzena Brazova.

En 1911, nouvelle délégation tchèque avec, à sa tête, les Reines des fleurs de Prague : Bozena Skoupova (élue à Paris Reine des Reines de Fleurs), Anetta Horova et Helena Sykorova (une quatrième reine, Mademoiselle Lausmannova, partie pour Paris, malade, rebroussa chemin avant d’arriver).

En 1910 et 1911, la foule parisienne acclame en Tchèque les reines étrangères. Elle crie « Nazdar ! » salut des Sokols (les Faucons), sociétés patriotiques tchèques existant à l’époque (les Tchèques font alors partie de l’Empire Austro-Hongrois).

En 1914, une délégation piémontaise vient à Paris pour la seconde fois, avec à sa tête la petite Reine palatine 1914 : Adélaide Revelli.

Durant cette période, les Reines parisiennes de la Mi-Carême – conduisant des délégations – visitèrent Prague, Pilsen, San Sebastian, Londres, Naples… Après la reprise du Carnaval de Paris en 1919, les échanges internationaux ne reprirent pas, exceptée la venue très appréciée, pour la mi-carème 1926, d’un ensemble de 153 musiciens belges : le Soutien de Saint-Gilles.

Durant les 45 ans d’interruption des cortèges traditionnels du Carnaval de Paris, depuis 1952 jusqu’à 1998, eut lieu un spectacle de rue et sur la Seine en l’honneur des Carnaval : « La Fête de l’été ». Manifestation organisée en juin 1977, notamment par la chaîne de radio privée Europe I, et la Mairie de Paris. Très réussie, baptisée aussi « Carnaval des Carnavals » elle attira un million de Parisiens. Cet évènement connaîtra une participation belge (les Gilles marchiennois), espagnole (la reine du Carnaval de Valence), allemande (de Mayence), colombienne et brésilienne (l’école de Samba Beija Flor).

Presque dès le début des efforts entrepris pour la renaissance du Carnaval de Paris, en 1993, des démarches furent faites et des contacts établis hors de France pour la reprise de sa belle tradition festive internationale.

En 2005, ces efforts aboutirent, avec la venue d’Italiens commémorant le centenaire de la participation de l’Italie, au Carnaval de Paris 1905.

Nous allons continuer !