Une conférence internationale à Berlin
16/03/2019

En tant qu’organisateur du Carnaval de Paris et du Carnaval des Femmes j’ai été invité à participer à une conférence internationale à Berlin. Elle s’est tenue les 13, 14 et 15 mars 2019 à la mairie de Berlin. Elle était organisée par la ville de Berlin et l’association Piranha Arts. Piranha Arts organise chaque année le Carnaval des Cultures à Berlin. Il y avait là des représentants de sept pays et trois continents. J’ai eu le plaisir de faire la connaissance de très sympathiques personnes avec lesquelles je garderai le contact.

Nous avons été très bien accueillis dans une ambiance très amicale et chaleureuse. Le sujet de la conférence était l’organisation des carnavals. Il a été aussi évoqué les idées pour le futur. J’ai proposé que soit organisé un jour à Berlin un Congrès international des Carnavals.

Après mon retour à Paris, j’ai écrit à la représentante de Buenos Aires rencontrée à Berlin, pour lui proposer l’idée d’un Congrès international des Carnavals de l’hémisphère sud. Il se tiendrait à Buenos Aires. J’espère que cette idée se concrétisera un jour, de même que celle d’un Congrès international des Carnavals organisé à Berlin.

La langue de la conférence tenue en mars 2019 à Berlin était l’anglais. Ne parlant que très peu cette langue, j’ai présenté avec quelques mots d’anglais deux textes que j’avais apporté traduits en anglais par mon amie Isabelle et ses deux enfants, Morgane et Damien. Qu’ils soient ici remercié pour leur aide ! Je retranscris ici ces deux contributions dans leur version originale en français.

Le Carnaval de Paris – Renaissance d’une très grande fête oubliée

Paris est une très grande ville au moins dès le douzième siècle. La ville compte plus de huit siècles de grande fête centrale. La Fête des Fous à Paris prospère au moins dès le onzième siècle jusqu’au milieu du quinzième siècle, soit durant au moins quatre cent cinquante années. Au seizième siècle, le Carnaval de Paris va succèder à la Fête des Fous à Paris. Il prospère durant plus de quatre cent années. Le dernier très grand cortège du Carnaval de Paris défile le jeudi de la Mi-Carême vingt-huit mars mil neuf cent quarante six. Puis le Carnaval de Paris va être progressivement oublié. A partir des années mil neuf cent cinquante autant dire plus personne n’en parle. Les mots « Carnaval de Paris » ne sont plus utilisés. De gros ouvrages illustrés sur Paris ne mentionnent pas ou très peu le Carnaval de Paris. La renaissance du Carnaval de Paris demandera des efforts et débutera en mil neuf cent quatre vingt treize. Je suis l’initiateur de cette renaissance. Quand je commence cette entreprise, j’ignore l’ampleur du défi.

Je suis seul, inconnu, sans relations avec des organismes ou personnes influentes et sans argent. Et je ne cherche pas à gagner de l’argent avec le Carnaval. Se pose alors à moi trois questions : comment était le Carnaval de Paris ? Pourquoi a-t-il disparu ? Comment pourrait-il revenir ? Je ressens d’emblée que la fête à renaître ne sera pas une entreprise commerciale et ne sera pas organisée avec une pyramide bureaucratique centralisée. L’absence complête de but lucratif direct convient bien à ma culture aristocratique qui attache plus d’importance à la réussite morale et à la beauté, la droiture et la grâce du geste, plutôt qu’aux gains matériels. Mon but en faisant renaître le Carnaval de Paris n’est pas de m’enrichir ou être le chef ou devenir célèbre. Mon but est d’être au service de la fête et de la collectivité pour la bonne humeur générale et la joie.

S’agissant des aspects économiques de la fête, je me dit alors qu’une fête très grande et vivante amènera forcément des retombées économiques excellentes pour la prospérité de la ville. Retombées dont je pourrais profiter en marge de la fête, comme de très nombreux autres Parisiens. Cet aspect indirectement économique du Carnaval de Paris me fait croire qu’il sera facile de le faire renaître. Je me trompe. Il faudra cinq années d’efforts acharnés et persévérants pour que la fête réapparaisse dans la rue. Très vite, en consultant des journaux anciens et quelques archives, je comprend que le Carnaval de Paris était gigantesque. Qu’il a disparu suite à des problèmes d’organisation. Il n’a jamais été rejeté par les Parisiens. Il a rarement été interdit et cette interdiction était toujours momentanée. Reste la question : comment faire renaître cette très grande fête oubliée ?

La réponse est : par l’éducation et la renaissance d’un défilé dans la rue. L’éducation consiste à diffuser des informations par brochures et tracts photocopiés. Le défilé carnavalesque traditionnel parisien à faire renaître est celui de la Promenade du Bœuf Gras.

Ce défilé très ancien était la Fête de la Boucherie parisienne dans le cadre du Carnaval de Paris. Il devint au dix-neuvième siècle de facto la Fête de Paris dans le cadre du très grand et très beau Carnaval de Paris. Quatre cent cinquante mille Parisiens venaient y assister.

Je me trouvais devant la nécessité d’avancer dans un domaine inconnu pour moi : la renaissance d’une authentique fête populaire. Je devais également trouver des supporters. J’ai fait le choix de reprendre les méthodes de la propagande politique ou syndicale militante que j’ai mis au service du Carnaval, réunions, tracts, brochures. C’est ainsi que le projet prenait forme. Pour trouver des supporters, j’informais toutes les personnes que je connaissais, soit quelques dizaines de personnes. Certaines se montrèrent très proches du projet, d’autres non. Le cortège de la renaissance du Carnaval de Paris était prêt pour sortir en mil neuf cent quatre vingt quinze.

Je me suis alors heurté à un problème. Le défilé prêt à avoir lieu en mil neuf cent quatre-vingt quinze n’a pas reçu l’autorisation de la Préfecture de police pour défiler. Cette interdiction a été renouvelée l’année suivante. La situation était complétement bloquée. Cette situation bloquée allait durer plusieurs années. Je faisais tout mon possible pour faire renaître le Carnaval de Paris. Rencontres, réunions, courriers adressés à de nombreux destinataires variés.

C’est en octobre mil neuf cent quatre vingt dix sept que je fis une rencontre décisive qui allait permettre de débloquer la situation et assurer la renaissance du Carnaval de Paris. Grâce à une journaliste du journal « Le Parisien » je contactais le Conseiller de Paris Alain Riou.

Alain Riou avait projeté de créer un Carnaval de l’Est parisien. Puis un Carnaval de Saint Fargeau dans le quartier de Saint Fargeau. Le quartier de Saint Fargeau se trouve dans un des vingt arrondissements de Paris.

Comme la plupart des Parisiens, Alain Riou ignorait tout du passé prestigieux du Carnaval de Paris. Il ignorait aussi mes efforts pour la renaissance de cette fête. Il ne connaissait pas le blocage auquel je me heurtais, et qui empêchait cette renaissance.

Nos deux projets carnavalesques fusionnèrent. Alain Riou avait un ami très haut placé. C’était le premier collaborateur du ministre de l’intérieur pour toute la France. Par amitié pour Alain Riou il donna son appui à la demande d’autorisation du défilé de la renaissance du Carnaval de Paris. La situation se débloqua et le cortège du Bœuf Gras, qui n’avait plus défilé depuis mil neuf cent cinquante deux reparut en mil neuf cent quatre vingt dix-huit.

Depuis cette date il est sorti chaque année. Sa vingt-deuxième sortie date du trois mars de cette année. Elle a été un très grand succès. Nous étions six mille dans le cortège. La prochaine édition aura lieu le dimanche vingt-trois février deux mille vingt. Venez à notre fête !

Alain Riou étant malheureusement mort prématurément en décembre deux mille quatre je l’ai remplacé en qualité de responsable et organisateur du Carnaval de Paris.

Depuis deux mil neuf j’ai été aussi à l’origine de la renaissance de l’autre cortège traditionnel du Carnaval à Paris, celui du Carnaval des Femmes Fête des Reines des Blanchisseuses de la Mi-Carême. L’année dernière pour cette fête nous étions plus de mille à défiler. Sa onzième édition aura lieu dans peu de jours, le dimanche trente et un mars prochain. Vous y êtes tous invités.

Quelles sont les particularités des deux fêtes que j’organise, le Carnaval de Paris et le Carnaval des Femmes ? Ces deux fêtes sont le triomphe de l’autogestion, de la générosité, de l’amour et du désintéressement. Le cœur est la base d’organisation. Tout est bénévole. Il n’est pas question de subventions. C’est l’esprit festif qui compte, l’authenticité de la fête. Je préfère une vraie fête sans caractère commercial, quitte à ce qu’elle soit plus petite. Plutôt qu’une grande manifestation à caractère lucratif. C’est un choix et il corresponds bien à un vrai carnaval. Quand l’argent intervient et prend une place essentielle dans l’organisation, il ne s’agit plus d’un carnaval mais d’un spectacle de rue. Il peut être très beau et agréable à voir, mais ce n’est plus une fête. Et quand il faut payer pour y assister, ce n’est plus tout le monde qui peut en profiter. J’ai toujours été désintéressé matériellement et ça été une chance pour moi, car cela m’a permis d’apprécier la vraie valeur des choses et les choses qui ont une vraie valeur et qui ne s’achètent pas, comme l’amour, l’amitié, l’attention, le respect de soi et de l’autre. J’organise le Carnaval de Paris et le Carnaval des Femmes parce que je m’aime et j’aime mon prochain. La joie et le sourire partagés sont le but de l’organisation de ces fêtes, en tous cas pour ce qui me concerne. Le Carnaval de Paris et le Carnaval des Femmes sont pour moi comme deux œuvres d’arts que je réédite chaque année.

Basile Pachkoff artiste-peintre, philosophe naïf, poète, Paris le 24 février 2019

La goguette et l’autogestion, un modèle d’organisation pour la fête,

le bigophone, une bonne idée

J’étudie depuis bientôt vingt-six ans le Carnaval. Ma recherche a pour but de retrouver des éléments oubliés de la fête. Pour les employer à nouveau, pour le renouveau festif à Paris et ailleurs. Quand j’ai commencé mes recherches, une chose m’apparaissait d’emblée évidente : pour exister, une fête a besoin d’être préparée et organisée. Oui, mais quelle préparation et quelle organisation ? Je n’ai trouvé la réponse qu’au bout de seize années de recherches. La base traditionnelle de la fête vivante authentique et populaire à Paris durant longtemps, c’est la goguette.

La goguette est un groupe qui compte moins de vingt membres. Il se réunit régulièrement pour passer un moment agréable ensemble. Son activité principale consiste à chanter des chansons. Au moment du Carnaval la goguette va y participer. La convergence de dizaines de goguettes dans la rue et dans les bals va assurer leur succès.

Il y avait au dix-neuvième siècle en France des milliers de goguettes, dont des centaines à Paris. C’était un mouvement de masses. Le Carnaval était très grand partout. Grâce aux goguettes. Les goguettes ont ensuite disparu pratiquement partout et le Carnaval a reculé partout.

Les goguettes ont subsisté dans une seule région, au nord de la France : la région de Dunkerque, soit la ville de Dunkerque et les villes avoisinantes. Le Carnaval est resté énorme dans ces villes. Mais pourquoi les goguettes ont-elles disparu pratiquement partout en France ? Et pourquoi les goguettes ont-elles subsisté à Dunkerque et dans les villes autour de Dunkerque ?

En France, jusqu’en 1835, une loi punissait d’une terrible amende les groupes réunissant plus de dix-neuf membres. Cette loi a fait que les goguettes comptaient toujours moins de vingt membres. Et même plutôt moins de dix-neuf membres. Cette limitation a eu un effet bénéfique pour l’organisation de la fête, pour la prospérité du Carnaval.

Petit et devant rester petit un groupe est fort de sa cohésion. Et aussi quand un groupe atteint vingt membres arrive un phénomène psychologique qui fait que le groupe se divise en deux ou plus. Tant que la loi interdisait en France d’atteindre ou dépasser vingt membres, les groupes gardaient une précieuse cohésion.

En 1835 une goguette fut surprise par la police royale réunie à plus de dix-neuf. Cette goguette s’appelait « la Goguette de l’Enfer » car ses membres portaient des noms de démons. Le procès de la Goguette de l’Enfer se termina de la façon suivante :

Le juge décida que si le but de la réunion c’était chanter des chansons et boire du vin, c’était alors autorisé de se réunir à vingt et plus.

A partir de ce moment-là, les goguettes grossirent. Tous les problèmes surgirent et aujourd’hui il n’y a presque plus de goguettes en France. Résultat, le Carnaval qui était très vivant partout, a reculé et souvent disparu presque partout.

Mais pourquoi le Carnaval est resté immense à Dunkerque et dans les villes alentour ? Parce que Dunkerque est à l’origine une ville de marins-pêcheurs. Ces marins-pêcheurs partaient jadis chaque année pour une campagne de pêche à la morue au large de l’Islande et de Terre Neuve. Les bateaux de pêche s’appelaient des lougres. Leur équipage étaient de douze hommes.

Le Carnaval de Dunkerque avait lieu juste avant le départ pour la campagne de pêche. Une campagne très dure dont on pouvait ne pas revenir. Le Carnaval de Dunkerque était un carnaval de marins.

Les groupes organisés dans ce Carnaval, c’était les équipages. Des groupes de douze hommes. Cette tradition a continué jusqu’à aujourd’hui. Presque toutes les sociétés de Carnaval ont douze membres. Résultat, le Carnaval est immense à Dunkerque et dans les villes alentour.

Si on va à Lille, à soixante kilomètres de Dunkerque, on constate qu’il n’y a plus de goguettes et plus de Carnaval.

Les goguettes de Dunkerque et des villes alentour portent le nom de « sociétés philanthropiques et carnavalesques » car en plus du Carnaval elles font aussi de la bienfaisance.

Si on veut que le Carnaval prospère, créer des goguettes paraît être une excellente idée. Parlons-en ensemble !

Nous pourrons également parler de l’autogestion et du bigophone.

L’autogestion, que l’on voit qualifier quelquefois de « révolutionnaire », est une des plus vieilles formes d’organisation. C’est la base de fonctionnement des familles.

C’est également la base d’organisation du Carnaval de Paris et du Carnaval des Femmes. A la date annoncée et sur le parcours prévu viennent converger des associations qui vont défiler ensuite ensemble. Il n’y a pas d’ordre prévu dans le cortège. Aucune inscription n’est nécessaire pour participer. On peut se décider au dernier moment de participer ou ne pas participer au défilé. C’est seulement le soir après la fête qu’on connaît plus ou moins l’identité de tous les participants. Ce mode de fonctionnement marche très bien et depuis des années.

Le bigophone est un instrument de musique carnavalesque simple et très bon marché. Il fut inventé à Paris par Romain François Bigot en mil huit cent quatre-vingt-un. Il consiste en un kazoo pourvu d’un amplificateur de formes plus ou moins comiques. Il y avait jadis des joueurs de bigophones dans le monde entier. Il existait des milliers de fanfares bigophoniques. Ces fanfares comptaient des percussions pour marquer le rythme et des bigophones pour la musique. Il n’y a pas besoin de connaître le solfège pour jouer du bigophone !

La renaissance des sociétés bigophoniques pourrait être un appui important pour la prospérité des Carnavals partout dans le monde.

Il existe encore un petit nombre de fanfares bigophoniques. Il en existe en France dans la ville de Châtellerault et aussi dans la ville du Luc. Il en existe sans doute encore dans quelques autres villes.

En 2013, à l’occasion du défilé de la Fête national du Québec, le 23 juin, la ville québécoise de Vaudreuil-Dorion, près de Montréal, a vu l’apparition des bigophones à l’initiative de Michel Vallée, directeur du Service des arts et de la culture de la mairie de la ville. Comme le rapporte le site d’informations locales Première édition, des bigophones sont distribués et des modes d’emplois pour leur fabrication sont fournis aux enfants des écoles :

« Autre nouveauté : le bigophone. C’est lors d’un séjour en France que Michel Vallée a découvert cet instrument tout simple, que le responsable du Carnaval de Paris lui a montré. Un gazou, une caisse de résonance, et voilà, le tour est joué ! Ceux que la bibliothèque distribuera aux intéressés sont fabriqués à partir de chapeaux de fête en carton. Les enfants des écoles primaires de la ville recevront sous peu les étapes de fabrication du bigophone. Toutefois, parions que les grands voudront également jouer de cet instrument festif. »

Basile Pachkoff artiste-peintre, philosophe naïf, poète, Paris le 25 février 2019